Conversations... Petit abécédaire du rock ©️Evelyne Coutas/Dalle

The Who Keith Moon 1974
©Evelyne COUTAS/DALLE

Conversations avec Claudine Roméo*, philosophe, 25 janvier 2015

CR : Parlez-moi de votre approche de la scène rock.

EC : J’ai toujours été attirée par le spectacle vivant. J’ai acheté mon premier appareil photo pour cela. Dans les années 75, je faisais beaucoup de prises de vues de théâtre amateur et de scène rock. Le rock, comme pour la plupart des jeunes de notre génération, était une composante majeure de nos vies.
A cette époque, je travaillais en autodidacte. Une pensée pour Dominique qui se reconnaîtra.

Mes rencontres avec Jean-Pierre Leloir puis Robert Doisneau dans les années 80, m’ont confortées dans l’idée que la photographie ( plus encore celle de spectacle), posait le problème du réel en d’autres termes :
photographier un réel qui est déjà une mise en scène ou celui qu’on s’est inventé , c’est produire une réalité subjective.

Le rock c’était ça : restituer une certaine version de ma réalité combinée avec l’énergie comme matériau pur.

CR : Vous étiez très jeune à l’époque. Y avait-il chez vous une forme de conscience politique ?

EC : Sans doute, de manière plus ou moins consciente.
ll y a toujours une forme d’engagement lorsqu’on choisit de s’impliquer sur le territoire d’une contre-culture.

CR : Peut-on dire que le goût du spectacle est à l’origine de votre travail photographique ?

EC : Tout à fait. La photo de scène a été le socle sur lequel j’ai construit ma pratique artistique. L’esthétique rock y a beaucoup contribué.
En plus du goût du spectacle et de la musique, j’avais comme je l’ai déjà évoqué, besoin de partir de lieux déjà recomposés pour m’exprimer. Photographier dans la rue m’ était alors impensable.
La structure de l’espace clos de l’univers du spectacle me convenait parfaitement :
face à soi, une réalité reconstruite ( le réel tel qu’il pourrait être) éclairée, mise en lumière ; derrière soi , le réel tel qu’il est , le public , l’architecture du lieu maintenus dans la pénombre ; enfin, soi et le filtre de l’appareil comme interfaces entre ces deux mondes.

CR : Voyez-vous dans les premiers photogrammes que vous avez réalisés dès1983 dans votre chambre à coucher une filiation directe avec cette approche de la scène ? Les techniques employées et les finalités semblent très différentes.

EC : Absolument, c’est une filiation directe.
On peut aborder des problématiques similaires et développer une même interrogation avec des moyens très divers. Je pense que pendant son parcours créatif, l’artiste cherche toujours à dire/ faire la même chose en faisant varier les techniques et les approches.

CR : Qu’en était-il de cette chambre à coucher que vous avez fini par nommer “ La chambre obscure” en référence à la camera obscura ?

EC : Je travaillais de nuit avec la lumière de la lune. J’avais totalement scénarisé ma chambre en la transformant en lieu d’observation, de réflexion et en chambre noire à échelle réelle. J’étais à l’intérieur. Elle était devenue un théâtre d’ombres auquel j’appartenais cette fois en temps que sujet/acteur et plus uniquement en tant que photographe. J’avais d’ailleurs abandonné l’appareil photo.
La lumière, le corps et son rapport à l’espace étaient les principales constantes avec mes travaux précédents.
Et surtout, je restais dans cette “clôture” propre à l’espace scénique.

CR : Etiez-vous consciente de cette filiation ?

EC : Cela me paraît évident aujourd’hui, ce qui n’était pas du tout le cas à l’époque !

Je me rappelle que j’ avais créé une distinction un peu farfelue entre ce que je nommais alors la “photo prise” ( avec l’appareil ) et la “ photo faite” (avec des moyens détournés plus expérimentaux). Je m’interrogeais beaucoup sur le statut de la photographie, encore très flou en France à la fin années 70 et au début de années 80.
C’est Michel Journiac qui a été un déclencheur, décisif, en me démontrant très simplement à travers la lecture de mes propres images, que la querelle photo art/ou non art n’avait pas lieu d’être.

Pour en revenir à votre question sur la conscience d’une filiation , je dirais
qu’on est toujours plus ou moins dépassé par ses nécessités et les protocoles qui en résultent. Comme le disait Matisse, il y a chez le créateur une part qui lui échappe et qui fait précisément de lui un artiste. On est “conduit”.

Ce n’ est que dans la durée qu’une lecture transversale de notre propre travail peut nous apparaître . Et c’est à ce moment que tout s’éclaircit et devient vraiment passionnant.

*Claudine Roméo, philosophe, a enseigné à l’Université de Saint Charles, Paris I.
Elle a exploré les limites entre philosophie, art, politique et quotidien.

Lou Reed 1974
©Evelyne COUTAS/DALLE

Conversations with Claudine Roméo*, philosopher, 25 January 2015

CR : Tell me how you got into the rock scene.
EC : I’ve always been drawn towards live shows. That’s why I bought my first camera. In the 70s I shot a lot of amateur theatre and live rock. As for many young people of our generation, rock played a big part of my life. I was self-taught at the time - a special mention for you, Dominique - you know who you are.
Meeting Jean-Pierre Leloir, and then Robert Doisneau in the 80s, reinforced my attachment to photography (especially of live shows), and raised the question of what is real in a different way :
photographing something real is staging something you have invented, producing subjective reality.
That’s what rock was : recreating a version of my reality using energy as my raw material.
CR : You were very young at the time. Did you have any kind of political conscience ?
EC : Yes, I must have had, in a more or less conscious way.
There’s always some kind of commitment when you choose to launch yourself into counter-culture territory.

*Claudine Roméo, philosopher, taught at the Université de Saint Charles, Paris I.
She explored the boundaries between philosophy, art, politics and daily life.

traduction Catriona Donagh

Dominique et Evelyne, photo de Paul Weller, Nuit punk 1977, coulisses du Palais des glaces, Courtesy Evelyne Coutas

Dominique nous a quittés des suites du Covid19 le dimanche 29 mars 2020, au même moment qu’Alan Merrill, l’auteur du célèbrissime "I love Rock’n roll".

Dominique passed away from a Covid disease on Sunday 29th of March 2020. The same day as Alan Merrill ("I love rock’n roll") did.

Voir aussi :
To be read :

The Pretty Things à la Maroquinerie, 2019
https://vimeo.com/358033593

http://www.evelynecoutas.net/?Star-the-year-the-music-died-2016

http://www.evelynecoutas.net/?36-poses-in-Radical-Postures
http://www.evelynecoutas.net/?36-poses-par-Marie-Doyon

https://www.bebopo.biz/sneakers-fanzine-ou-magazine/

https://i-d.vice.com/fr/article/9kakee/je-suis-une-femme-je-casse-la-baraque-et-jai-pas-de-guitare

Dans la même rubrique