Dans le cadre de l’exposition Radical Postures, Evelyne Coutas a été invitée à investir le Project Room de la galerie et à revisiter les photographies qu’elle a réalisée entre 1975 et 1983 fixant sur la pellicule toute la scène musicale rock de passage à Paris. L’installation qu’elle propose, 36 poses, est à proprement dire un accrochage, où les tirages noir et blanc sont quasiment bord à bord, punaisés à même le mur, et où se côtoient des figures aussi emblématiques que les Kinks, les Ramones ou les Clash… Ici, Radical Postures désigne littéralement la gestuelle, la codification des poses. Les corps sont en équilibre au bord de la scène, toujours borderline, penchés sur la guitare ou vers le public, les chanteurs se raccrochent à leur micros comme pour éviter de chanceler, bondissent et restent en suspens dans les airs. La tension des corps accompagne celle de la musique. Celle-ci est électrique : comme le note EC, sur scène, les musiciens et chanteurs ne sont alors plus seulement des interprètes. Le courant passe et traverse leur corps qui devient un élément de plus jouant dans un réseau de fils, de câbles, de retours et d’amplis (1).
Ce nouveau rapport à l’instrument transforme l’attitude sur scène et face au public, le micro ou la guitare deviennent des éléments structurels : les accessoires indispensables d’un décorum, d’une mise en scène théâtrale qui se donne à voir. Les corps et les visages qui captent toute la lumière semblent alors surgir des fonds noirs jusqu’à devenir des signes, des symboles. 36 poses, c’est aussi le nombre de poses sur une bobine à une époque où l’on « shoote » en argentique avec des optiques fixes et sans flash. EC a environ 19 ans alors étudiante aux Beaux–Arts elle est amenée à la photographie par celles des performance de G. Pane ou M. Journiac dont elle était l’assistante. Dans la fosse avec le public, elle est à l’affût des poses de ces idoles qui sont celles de sa génération et dans lesquelles elle se reconnaît alors. Ces images montrées pour la première fois dans le cadre d’une exposition, circulaient dans les magazines Rock de l’époque (Rock and Folk, Rock Hebdo, Rock en stock…) mais aussi dans les nombreux fanzines moins officiels. L’image des groupes n’était pas encore soumise comme elle l’est aujourd’hui à autorisation ou validation par des photographes munis d’accréditations.
Aujourd’hui Evelyne Coutas revisite par cet accrochage ces images à l’aune de sa pratique actuelle de la photographie où elle exploite depuis les années 1980 l’hybridation du médium photographique notamment avec la réalisation de photogrammes, utilisant les propriétés d’impression de la lumière sur le support sensible : des photographies sans appareil en somme. Rien d’étonnant finalement à ce que ces astres de lumière aient retenus l’attention de la jeune artiste qu’elle était et dont tout le travail est depuis traversé par la présence des corps.
Dans 36 poses, les images sont autant de coupures dans le temps, nécessairement fragmentaires et iconiques. Tels les morceaux d’unpuzzle, ils sont assemblés recréant un univers en noir et blanc. Toutes ces figures ont en commun d’avoir participé à la création d’une esthétique du rock, dans laquelle vont puiser nombre d’artistes contemporains et qui peut se définir pas un nouveau rapport au temps accéléré, une fulgurance et une radicalité accompagnés d’un sentiment de révolte et d’une mise en péril constante. « Vivre et dormir devant un miroir » comme écrivait Baudelaire, poète dandy par excellence que se plaisait à lire Patti Smith en préambule à ses concerts.
Marie Doyon
d’après un entretien avec E. Coutas, avril 2010
dans le cadre de l’exposition « Radical Postures, galerie les Filles du Calvaire, Bruxelles
(1) A ce sujet Evelyne Coutas rappelle le fantasme du guitariste électrocuté dans The Phantom of Paradise de Brian de Palma, né d’un fait véridique : l’électrocution du chanteur des Yardbirds en 1976.
Voir dans le portfolio "36 poses"
Voir l’exposition de Bruxelles, 2010